Fracture numérique de troisième génération : quand l’inclusion passe à côté de l’essentiel
Être connecté ne suffit plus. Si les débats sur la fracture numérique ont longtemps porté sur l’accès à Internet ou à un ordinateur, une nouvelle ligne de faille se dessine aujourd’hui : celle des inégalités dans les usages et les bénéfices du numérique. Bienvenue dans l’ère de la fracture numérique de troisième génération.
✅ Connectés, mais à quoi ?
La France affiche aujourd’hui des taux de connexion Internet très élevés : plus de 90 % des foyers sont équipés. Pourtant, derrière ces chiffres flatteurs se cache une autre réalité. Nombre de personnes — jeunes précaires, personnes âgées, migrants, habitants des quartiers populaires ou zones rurales — utilisent le numérique sans en tirer pleinement les fruits. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’utilisent que de manière passive ou contrainte.
Certains remplissent des démarches administratives sans les comprendre. D’autres naviguent sur les réseaux sociaux sans savoir comment protéger leurs données. D’autres encore ne savent pas que des formations, des droits, ou des espaces de participation citoyenne sont accessibles en ligne.
🎯 Une fracture d’opportunités
La fracture numérique de troisième génération ne se mesure pas en gigaoctets ou en nombre de clics. Elle se mesure en opportunités manquées :
- Accès à l’éducation ou à la formation continue
- Recherche d’emploi en ligne
- Accès à la santé numérique
- Participation aux débats publics
- Création de contenus, d’expressions personnelles, d’engagement citoyen
Ce sont les usages créateurs de valeur personnelle et sociale qui manquent souvent à l’appel. Et cette fracture est souvent invisible, car elle touche même ceux que l’on pense “inclus”.
🧠 Une inclusion numérique qui interroge
Cette problématique interroge le cœur même des politiques d’inclusion numérique. Faut-il se contenter de distribuer des tablettes ? Former aux bases de la bureautique ? Ou plutôt accompagner les personnes à devenir actrices de leur vie numérique, à comprendre les enjeux, à développer des usages enrichissants, à se défendre face aux algorithmes, à créer, partager, contester, participer ?
Le sociologue Jan Van Dijk, pionnier de ces réflexions, appelle à dépasser l’idée que l’infrastructure suffit : “Ce n’est pas l’accès aux technologies qui compte, mais ce qu’on en fait.”
🔄 Vers une inclusion numérique émancipatrice
Certaines initiatives vont dans le bon sens :
- Des médiathèques qui forment à la citoyenneté numérique
- Des associations qui accompagnent les migrants dans l’usage des outils en lien avec leurs droits
- Des tiers-lieux qui enseignent la création numérique, le code, les podcasts, la critique des médias
- Des ateliers qui visent l’autonomie numérique des femmes en milieu rural
Mais ces actions restent trop isolées, souvent sous-financées, et dépendent du bon vouloir des territoires.
🌍 Ne pas confondre clic et pouvoir d’agir
L’inclusion numérique ne peut pas se résumer à une question d’équipement ou de connexion. Elle est profondément politique et sociale : elle interroge la capacité des individus à agir sur le monde à travers le numérique, à y faire entendre leur voix, à s’en servir pour grandir, s’émanciper, se défendre.
En oubliant cette dimension, on court le risque d’un numérique à deux vitesses : un numérique de gestion et de consommation pour les plus fragiles, et un numérique d’influence, de création et de pouvoir pour les autres.
La fracture numérique de troisième génération nous invite à poser une question simple mais cruciale : le numérique, pour quoi faire ? Et pour qui ?
Encadré : Trois générations de fracture numérique
- 1re génération : l’accès aux équipements et à Internet
- 2e génération : les compétences numériques (savoir utiliser les outils)
- 3e génération : les usages et les bénéfices tirés du numérique (capacité à participer, créer, s’émanciper)
Bibliographie indicative
- Van Dijk, J. (2020). The Digital Divide. Polity Press.
- Granjon, F. (2019). Les usages sociaux des TIC. CNRS Éditions.
- Dagiral, E., Thiébaut, B. (2022). Les inégalités numériques en actes. Presses des Mines.
- Nussbaum, M. (2012). Creating Capabilities. Harvard UP.
- Warschauer, M. (2004). Technology and Social Inclusion. MIT Press.